Témoignage de Madame Andrée BRILLANTI

Témoignage de Madame Andrée BRILLANTI

Le témoignage d'Andrée Brillanti sur la Communauté des Sœurs de la Croix au Neuhof

Andrée Brillanti raconte son expérience de travail avec les Sœurs de la Croix, qui accueillaient et éduquaient des jeunes filles en difficulté dans les années 1950-1970.

Le fonctionnement du centre d'observation et de la maison d'éducation

Le centre d'observation évaluait le comportement et les besoins des jeunes filles, qui étaient ensuite orientées vers la maison d'éducation ou leur famille. La maison d'éducation leur offrait un cadre structuré et des activités scolaires, professionnelles et culturelles.

Le rôle des religieuses, du personnel et de l'aumônier

Les religieuses, qui dirigeaient le centre, étaient des pédagogues et des éducatrices attentives au bien-être et à l'avenir des jeunes filles. Le personnel était formé et qualifié dans divers domaines. L'aumônier était un conseiller et un arbitre apprécié des filles.

La fermeture du centre et la restructuration du Centre Louis Braille

Le centre a fermé en 1973, suite à l'évolution des mentalités et des politiques sociales. Il a été remplacé par le Centre Louis Braille, qui accueillait et scolarisait des jeunes aveugles et déficients visuels. Andrée Brillanti a continué à travailler au Centre Louis Braille.

Les souvenirs et les progrès depuis soixante ans

Andrée Brillanti garde de très bons souvenirs de son travail avec les Soeurs de la Croix et des jeunes filles qu'elle a accompagnées. Elle constate les progrès réalisés depuis dans l'éducation et l'intégration des aveugles et déficients visuels.

Il y a soixante ans.

En apprenant la fermeture définitive de la Communauté des Soeurs de la Croix au Neuhof j’ai eu un pincement au coeur. J’ai fait leur connaissance en janvier 1959 et depuis je suis restée très attachée à elles. A partir de ce moment-là j’ai assuré le temps scolaire des jeunes filles qui avaient des problèmes du comportement, nous dirions aujourd’hui prédélinquantes. Elles étaient prises en charge au centre d’observation et réparties suivant leur âge dans les groupes des petites, moyennes et grandes, dans le bâtiment “ Les Maronniers”, actuellement le Centre Clinchard. Elles y restaient à peu près six mois. Le personnel était déjà bien formé, éducatrices, enseignantes, assistantes sociales, psychologues, psychiatres et infirmières. Il faut ajouter qu’un aumônier habitait sur place.

Des réunions se tenaient régulièrement à partir d’un projet pour chacune. Une première évaluation était faite au bout de trois mois, c’était la pré-synthèse. La synthèse avait lieu au bout de six mois en général, elle décidait du placement ultérieur.

Certaines d’entre elles retournaient dans leur famille, d’autres restaient et étaient accueillies à la “Maison d’éducation”, l’actuel internat du Centre Louis Braille. La vie y était très organisée, en groupes horizontaux. La journée était divisée en heures de classe, d’ateliers, de sport. Le temps scolaire comportait des cours de français, mathématiques,
culture générale, sciences, géographie, histoire.

Pour que ces jeunes ne soient pas déconnectées de la réalité extérieure, des visites étaient organisées dans des usines, des ateliers (couture, manutention), des commerces
(boulangerie, droguerie.......) Le temps atelier était divisé en deux, atelier cuisine (apprentissage, tenue du ménage, recettes...) et atelier couture. Avec Soeur Hedwige elles apprenaient à utiliser la machine à coudre, à faire la coupe, la couture. Elles travaillaient dans cet atelier pour un magasin de layettes en ville. De belles possibilités étaient offertes à ces filles dans ce milieu très encourageant.

Le suivi psychologique continuait pendant tout le temps de leur séjour. Je me souviens de l’importance de la place de l'aumônier. Il avait un rôle de conseiller, voire d’arbitre qui était très apprécié des filles, sa porte était grande ouverte. Le psychiatre, à l’époque Monsieur Mathis connaissait chacune d’elle, il voulait qu’elles se sentent bien chez nous. Il a suggéré entre autres qu’elles aient un coin de jardin personnel.

Les religieuses, Soeurs Camille Françoise, Rose Marie, Marie Césarine, Jeanne Antide, Hedwige, Régine.... et Soeur Jean Bosco, la directrice, avaient un sens inné de  édagogues et d’éducatrices. Elles essayaient et souvent réussissaient à en faire de futures femmes et mères de famille responsables, soutenues par l’assistante sociale.

A leur sortie, beaucoup d’entre elles gardaient des liens avec les religieuses. Quel plaisir de les revoir plus tard, mariées avec des enfants. Mais il faut bien l’avouer, toutes n’ont pas eu cette chance. Le Centre d’Observation a fermé en 1972 et la maison d’éducation en 1973. La restructuration était difficile. Les mentalités avaient changé, les jeunes étaient devenues plus indépendantes. L’éducation en milieu ouvert et le maintien dans les familles étaient préconisés et avaient pris le dessus.

La rentrée 1973 a vu l’arrivée des jeunes aveugles et déficients visuels de Still en vue de leur scolarisation qui s’est faite désormais au Centre Louis Braille. L’intégration en milieu scolaire ordinaire était à ses débuts, c’est avec des lycéens qu’elle a commencée à Jean Monnet avec suivi des enseignants du Centre. La guidance parentale, comme nous l’appelions à l’époque, a vu le jour très rapidement, fonctionnant sans agrément, la prise en charge précoce était primordiale. Toute l’équipe tournait une après-midi par semaine pour conseiller les parents souvent déboussolés et leur expliquer les gestes élémentaires de l’éducation spécifique à l’aveugle ou déficient visuel. Cette prise ne charge était assurée par psychiatre, psychologue, assistante sociale, ophtalmologue, éducateurs et enseignants.

Le Centre Louis Braille fonctionnait en internat et semi-internat. Les élèves internes étaient pris en charge du dimanche soir au vendredi après-midi, les autres restaient la
journée avec le repas de midi. Cette journée comportait les heures de classe de la maternelle jusqu’en 3ème. Les enseignants étaient tous formés suivant leur spécialité.

CAEGA, qui était le certificat d’aptitude à l’enseignement général des aveugles, CAEMA, l’enseignement musical, CAEPA, l’enseignement professionnel.

Ces certificats étaient délivrés par le ministère de la Santé. La pédagogie spécifique était basée sur la suppléance des sens d’où l’enseignement musical plus intensif par exemple.
Les élèves évoluaient dans un environnement très agréable hors de la ville, dans un cadre de verdure. Le programme officiel avec toutes les adaptations liées au Braille, éducation du toucher, de l’ouie, du goût, de la locomotion….Un atelier spécial était aménagé pour l’initiation aux arts plastiques, travail de l’argile, du bois voire du fer. L’éducation physique et sportive, la piscine, les sports d'équipe comme le torball permettaient aux jeunes de mieux appréhender leur corps dans l’espace, le mouvement. Une classe d’enseignement professionnel préparait certains élèves au métier de standardiste. Un standard factice était installé sur place, il permettait de s’exercer comme dans la réalité (nous sommes en 1975...) La formation était couronnée par un examen délivré par l’association des standardistes aveugles de France.

Plusieurs standardistes en possession de cet examen étaient en fonction dans différents services de Strasbourg, mairie, rectorat, hôpital, tribunal, privés et j’en oublie. Une
équipe de catéchistes était sur place pour préparer les élèves aux temps forts de l’année, Noël, Pâques avec une célébration oecuménique à chaque fin de trimestre (facultatif pour les élèves)

L’intégration scolaire après la fameuse loi de 1974, sous la présidence de Monsieur Giscard d’Estaing a permis, avec plus de facilité, de poursuivre dans les lycées, peu dans les collèges, leurs études avec suivi du Centre Louis Braille. L’accès aux facultés était encore difficile, mais avec les moyens du bord, les réussites étaient d’autant plus méritées.

Que de progrès de depuis.......

“Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…”

J’en garde de très bons souvenirs.

Andrée BRILLANTI.

Publiée le 18/05/2024
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